
Oscar d'Aragon : Peux-tu te présenter, toi et ton parcours ?
Acauã Shereya : J’ai grandi à Fortaleza dans une famille de professeurs et d’artisans. Ma mère, la famille de mon père, mon grand-père était artisan… J’ai étudié la danse et le dessin, puis le théâtre et la danse. Je traite beaucoup des thèmes de la performativité du genre, de l’érotisme. J’ai réalisé deux œuvres pour l’instant, avec des collaborations. J’ai commencé mon premier projet solo en 2015 à Fortaleza : ce dernier est un projet autobiographique qui aborde la performativité du genre. A l’époque, on parlait très peu de ce sujet.
O. A. : Dans ta biographie, on peut lire « jardinière, artisan et ‘post-pornographe’ » : comment définirais-tu la post-pornographie?
A. S. : Chacun peut trouver sa propre définition, mais pour moi, c’est un rapport plus fort avec mon intimité, avec moi-même. Avant, j'organisais mon désir avec une cartographie très violente, car j’existais dans un contexte aussi très violent. J’étais cachée, introspective - je ne partageais rien. Pour moi, la post-pornographie, c’est le rapport qu’on entretient avec son intimité. Comment j’organise ce désir avec moi-même, pas avec les autres.
O. A. : Tu es également professeure – quelle est l’importance de la pédagogie dans ton travail ?
A. S. : Je ne sais pas ce que je veux enseigner! Pendant les rencontres avec les enfants, je réalise que le contenu de mon spectacle commence à se déplacer de la structure que j’avais prévue. Ce n’est pas moi qui enseigne quelque chose aux enfants : on crée quelque chose ensemble. J’aime travailler avec les enfants et adolescents, car ils ne portent aucun jugement de valeur. Les enfants ont un parcours purement émotionnel lors de la performance. Mais je travaille également avec les adultes.
O. A. : Comment définir A part vous, il y a quoi à manger aujourd’hui ?
A. S. : La dramaturgie parle aussi d’un état émotionnel. Ce spectacle s’inspire de l’assassinat de deux personnes travesties dans ma ville : ça part d’un contexte de révolte. Cette histoire m’a touchée fortement, et touche aussi ma propre vie. J’essaie de transformer la violence que j’ai subie dans une poésie. Tout ça, je le fais pour moi : je peux choisir mon parcours. Ce parcours émotionnel et autobiographique est très intimiste. Nuage Clouds Nuvens est l’enfance d’A part vous, il y a quoi à manger aujourd’hui - ces deux pièces fonctionnent ensemble.
O. A. : Tu dis que ton art est une stratégie de survie - qu’entends-tu par là ?
A. S. : Je voudrais inventer une nouvelle structure. Je ne veux pas avoir à habiter des structures qui existent déjà, car c’est difficile pour nous d’y rentrer. Même quand on y rentre, on est obligés de se changer, nous et notre vocabulaire. Je veux pouvoir créer un endroit dans lequel je n’ai pas besoin de changer quoi que ce soit pour y rentrer. Que je puisse juste parler de façon fluide. Mon rêve, c’est d’ouvrir une école pour les enfants trans et issus de familles trans.
O. A. : Peux-tu nous parler plus en détail du concept brésilien de « gambiarra » ? Comment s’intègre-t-il à ta pratique artistique ?
A. S. : La gambiarra, c’est vraiment une intelligence, et une technologie. Ce sont des stratégies que tous les individus vivant dans des contextes périphériques au Brésil utilisent.
O. A. : Que veux-tu apporter au public ? Avec quoi veux-tu qu’ils ressortent d’un de tes spectacles/performances ?
A. S. : De l’euphorie - et du délire !